Vingtième lecon : Peut-on faire commettre un crime à un sujet sous hypnose

Un problème qui, depuis l’aurore de l’hypnotisme, a fait couler des flots d’encre, sans être complètement élucidé, est celui-ci : « Peut-on faire accomplir une mauvaise action, voire un crime, à la faveur du sommeil hypnotique ? »

Je serai très catégorique.

Depuis vingt-cinq ans, j’ai approché de nombreux sujets, et mes expériences ont été multiples. Or, jamais je n’ai pu décider un homme ou une femme foncièrement honnête, ou ayant simplement cette « peur du gendarme », qui constitue une honnêtetã spéciale, à accomplir un acte simulé, mais qui, dans la réalité, eût été l’occasion de poursuites judiciaires.

En revanche, certains sujets, pris dans la lie de la société, dans le monde des apaches de faubourg, n’hésitèrent pas à m’obéir aveuglément. Et l’un d’eux, il y a quelques années, en présence de M. Liddman, consul de la République bolivienne, qui en fut malade d’émotion se lança sur un mannequin représentant un riche industriel, ayant dix mille francs dans son portefeuille, et lui plongea si énergiquement son couteau à cran d’arrêt dans la région du cœur, que le mannequin, en bois solide cependant, fut transpercé de part en part.

Un jeune homme de seize ans, sensitif au suprême degré, vint un jour se prêter à mes expériences, et je l’endormis en quelques secondes. Dans cet état de sommeil, je lui fis raconter sa vie. Bien que courte, elle était déjà édifiante. Saute-ruisseau chez un notaire, il avait forcé le tiroir du premier clerc, en s’introduisant nuitamment dans l’étude, avait volé 3000 francs, et s’était enfui en Belgique. Arrêté un mois après, il ne dut sa mise en liberté qu’à l’indulgence de son ex-patron, qui refusa de porter plainte, la famille ayant pris des arrangements avec lui pour le remboursement de la somme volée.

L’arrestation en Belgique, le transfert en France dans un wagon cellulaire, toute la mise en scène de la Justice avec les gendarmes, les menottes, l’interrogatoire, la prison, avaient produit sur le jeune malfaiteur une énorme impression.

Je lui proposai cependant un coup magnifique.

-Tu vois, lui dis-je, cet homme qui dort sur un banc ?

Et je lui désignai un spectateur de mes expériences.

-Oui, je le vois.

-Il est facile de lui enlever son portefeuille, qui contient une grosse somme.

-Non ! Non ! répondit-il, je ne veux pas être arrêté de nouveau, j’ai trop peur.

-Mais, il n’y a aucun danger, il ne se réveillera pas, et il ne pourra t’accuser, puisqu’il ne t’aura pas vu.

Ses bonnes intentions, ou du moins sa « crainte du gendarme », commençaient à faiblir.

-Croyez-vous vraiment que je ne risque rien ?

-Absolument rien, mais approche-toi doucement, et fais en sorte de ne pas le réveiller.

Nous vîmes le sujet s’avancer à pas de loup près de notre spectateur immobile. Au moment où il allait plonger la main dans la poche intérieure du veston, je me mis à crier : « Sauve qui peut, voici les gendarmes ! »

Affolé le sujet se retourna, et se figurant être véritablement sur le boulevard, s’enfuit précipitamment, et se serait brisé la tête contre le mur de la pièce, si je ne l’avais retenu et réveillé.

Ce jeune homme avait en lui la « graine », et il est certain que sous l’influence d’un hypnotiseur malhonnête, il eût pu, au profit de ce dernier, accomplir de nombreux actes criminels.

A côté de ce malfaiteur en herbe, prêt à toutes les besognes malfaisantes, à la condition de ne rien redouter pour sa sécurité, il me faut citer le cas, parmi cent, d’une jeune fille orpheline de père, qui se tuait et courait à la tuberculose, en essayant de subvenir à l’entretien de sa mère infirme et de deux frères en bas-âge.

Après l’avoir endormie, j’essayai cette suggestion.

Je lui présentai un jeune homme, en lui disant qu’il voulait la secourir, assurer son avenir et celui de sa famille, ajoutant qu’il l’aimait passionnément.

-Alors, il veut m’épouser ? demanda-t-elle.

-Non, il ne veut pas vous épouser, mais il désire que vous soyez sa maîtresse.

-Jamais, cria-t-elle avec énergie, et en faisant des gestes de répulsion.

J’eus beau lui présenter l’avenir sous les traits les plus enchanteurs, faisant miroiter à ses yeux le luxe des toilettes, des bijoux, des meubles ; les plaisirs de la table, du voyage, du théâtre, je ne pus obtenir son acceptation. Et cette pauvre ouvrière, qui gagnait quarante sous par jour dans un travail pénible, répétait à chacune de mes paroles : « Jamais ! Jamais ! »

Aucune puissance humaine n’eût été capable de conduire au crime ce sujet d’une sensibilité extrême cependant.

Je pourrais multiplier les exemples, vous montrer le cas de cette fille du boulevard, capable de tous les forfaits, prête à tous les vols, à tous les stupres, et qui, simplement, sans forfanterie, me déclara qu’elle aimerait mieux mourir que de tromper son « Alphonse », et de le dénoncer à la police ; je pourrais vous citer ce sous­officier cascadeur, hâbleur, menteur, toujours à court d’argent, et qui refusa, avec la dernière énergie, dans le sommeil hypnotique, de céder un fusil Lebel, pour 10000 francs, au soi-disant officier prussien que je lui présentais.

Je crois donc, d’une façon absolue, qu’il est impossible de faire commettre un crime ou une mauvaise action à une personne honnête. Sous l’empire de l’hypnotisme, le bon ne deviendra pas mauvais, le chaste ne se suicidera pas. Mais aussi, je crois qu’un malfaiteur, avec cette arme terrible de l’hypnotisme, peut rendre passif un être ayant besoin de toute son activité, le rendre muet alors que sa parole peut empêcher une mauvaise action, le paralyser quand il devra courir sus au danger.

En fait, l’hypnotisme joue un peu le rôle des langues d’Esope ; selon les circonstances, il est salutaire ou néfaste. Et c’est à ceux qui ont consacré leur vie à l’étude de cette science de trouver l’antidote qui annihilera le poison, pour ne laisser tomber que l’effet salutaire.
 

 

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