La Théorie du Lampadaire

La Théorie du LampadaireLa Personne était là, tranquille et vaguement heureuse, sous son lampadaire à la lueur orangée. Autour, la nuit noire régnait, un peu inquiétante.

Mais en regardant autour, la Personne pouvait voir la tache lumineuse d’un autre lampadaire, un peu plus loin. Un lampadaire qui ne semblait pas si différent, en fait. Et puis il y a cette zone d’ombre, entre les deux…

Mais la curiosité fait son travail, et bientôt, la Personne décide d’aller voir ce nouveau lampadaire.

Passée la petite appréhension de l’obscurité, elle arrive à son but. Sa satisfaction repose surtout sur le fait d’avoir osé. Osé franchir le pas.

Mais finalement, ce nouveau lampadaire, une fois calmée cette joie éphémère, n’est pas si différent du premier. C’est un peu frustrant, non?

Un autre se dessine un peu plus loin, puis un autre, et la Personne se familiarise avec cette démarche. Elle passe de lampadaire en lampadaire.

Un jour, elle rencontre un vieil homme, au pied d’un nouveau, nouveau, nouveau … lampadaire.

– Et que fais-tu là, vieil homme?

– Je suis comme toi: j’ai changé cent fois de lampadaire. Mais je me suis lassé. J’arrête.

– Oui, je te comprends, c’est un peu toujours pareil…

– Tu ne comprends pas. Je suis seulement fatigué. J’arrête, temporairement, pour cette vie. Je n’abandonne pas. Mais j’ai compris quelque chose au moins: à chaque fois que je m’arrête sous un lampadaire, je perds mon temps.

– Comment ça?

 

 

– Mais oui, les lampadaires ne sont pas là pour que tu t’arrêtes dessous, ils sont là pour éclairer tes pas! Et tu suis ta route, grâce à eux. Les lampadaires, ce sont tes croyances. Tu comprends bien que tôt ou tard tu te rendras compte que ta croyance sera remise en question, et tu en chercheras une autre. Sans t’en rendre compte, tu suis ta route.

La Personne, un peu surprise, repart d’un pas plus léger. Suivre une route, c’est plus encourageant que rester sous un lampadaire!

Et elle suit sa route, passant d’une illusion à l’autre avec facilité.

Et cette fois, elle rencontre une femme, assise et un peu abattue.

– Et que fais-tu là, qu’est-ce qui ne va pas?

– J’en ai assez. C’est interminable cette route. Il n’y a donc pas de fin? Ça n’a pas de sens… J’arrête. Je reste là.

La Personne ressent profondément le même désarroi. Ce n’est pas une vie de marcher sans autre but que de changer de croyance sans fin!

Je veux croire que la Vie m’offre autre chose. Je repars.

Cette fois-ci, les lampadaires sont dépassés plus vite, avec une indifférence marquée, la route défile, sans beaucoup de surprises.

Mais la fatigue, une fois encore se fait sentir, et la Personne trouve un jeune homme, assoupi sous un énième lampadaire. La Personne s’allonge sur un lit d’herbe, ses pensées lui disent: à quoi bon tout ça, des illusions permanentes, une route sans fin.

Je ne comprends rien du tout.

Un peu triste, elle s’endort à son tour, abandonnant toute réflexion.

Puis elle se réveille, avec un sentiment étrange. Quelque chose a changé.

L’obscurité ne porte plus tout à fait son nom. C’est comme si les lampadaires éclairaient plus loin, tout en paraissant moins lumineux.

Le jeune homme s’était éloigné, mais on pouvait voir qu’il n’était pas sur la route! Pas sur la route!?

Il revenait vers la Personne. Regarde, dit-il, c’est la lumière du Jour. Il faisait de plus en plus clair, des couleurs inconnues apparaissaient, les lampadaires avaient perdu toute leur présence, pour ne devenir que de simples poteaux disgracieux et inutiles.

Le ruban de la route, noir et sec, était un fil étroit au milieu d’une verdure abondante de plantes et de fleurs, de rochers et de ruisseaux. Le ciel lui même était un enchantement.

Le jeune homme se déplaça avec légèreté dans les herbes, le pied sûr, le visage éclairé de lumière et dit:

– Je savais que la vraie vie ne pouvait pas se réduire à ce que je croyais. Dès que je me suis endormi, j’ai cessé de croire, et voilà où je me réveille!

En parlant, il devenait comme un jeune enfant, puis il éclata de rire.

La Personne sortit de son sommeil: elle avait rêvé. Mais son rêve l’avait changée, définitivement.

Elle reprit sa route avec conviction, et il lui apparaissait nettement que la nuit était moins noire.

Le jour se lève. Un sourire aux lèvres. La fin des illusions?

 

– Xavier Girard

Depuis longtemps engagé dans la recherche du sens, épris de la volonté de partager et de communiquer sur des sujets où la synthèse manque parfois au voyageur incarné, sur des sujets qui nous impliquent tous.